Premieres difficultes

Premiers contacts avec les rigueurs de l'hiver en Turquie orientale, janvier 2009 (Toutenmarchant)

En quittant la banlieue de Kayseri nous nous engageâmes plein est en direction de Geşi. La ville de Geşi était assez emblématique des périphéries de grandes villes turques: une cite dortoir assez laide constituée de grandes barres HLM assez semblables a celles construites en région parisienne, mais bâtie vraisemblablement ces cinq dernières années au milieu de nulle part, parmi des pâturages. Cinq kilomètres plus loin, nous arrivâmes dans un village étrange ou des maisons récentes côtoyaient des constructions plus anciennes tandis que s'étendait sur le versant oppose du vallon toute une cite en ruine. Il y avait également une ancienne église orthodoxe délabrée et sans dôme dont les derniers vestiges d'icônes sur les parties hautes semblaient avoir été vandalisées par des tirs de balles de revolvers ! Nous apprendrons par les villageois qu'il s'agissait d'un ancien village arménien dont les habitants étaient "partis" il y a presque cent ans. Le sujet du génocide arménien étant tabou en Turquie nous ne nous étendrions pas sur le sujet avec nos interlocuteurs pour ne pas occasionner de malaise, mais il ne faisait nul doute que les habitants de ce village avaient subi le même triste sort que la plupart des arméniens d'Anatolie de l'époque. Les jours qui suivirent, nous eûmes l'opportunité de croiser encore d'avantage de ruines de villages arméniens dans des configurations similaires au premier: les maisons ruinées, vestiges de l'ancien village d'une part et le village actuel, avec ses maisons récentes, a moins d'une centaine de mètres.

A mesure que nous progressions vers le nord-est, vers Bunyan puis Akişla, nous allions retrouver des collines recouvertes de boue a perte de vue, que les précipitations nombreuses, a défaut de neige, provoquaient. Nous pouvions regoûter aux joies de la marche avec quelques kilos de de boue colles sous les godasses sans compter quelques glissades magistrales ! Puis vint le moment d'affronter la neige, en l'occurrence le franchissement d'une crête a plus de 2500m d'altitude, pour rejoindre le secteur d'Örensehir. Nous traversâmes cet obstacle par une sorte de goulet étroit et fort pentu malgré les mises en garde des villageois du bled en aval: "N'y allez pas! Il y a au moins plus de 2 mètres de neige (avec le geste au dessus de la tête, comme si on allait s'enfoncer totalement)! Et puis il y a des loups ! Plein de loups ! Vous avez des pistolets ? Non ? N'y allez pas malheureux !". Nous vîmes beaucoup d'empreintes de ce qui ressemblait a des loups sur la neige mais n'en n'avions jamais rencontre ... Il faut dire que les villageois les tiraient a vue a la carabine (nous apprendrons par la suite que cette pratique était systématique dans tout le pays) ! Les loups devaient sans doute craindre la présence de l'homme bien d'avantage encore et fuir a leur approche. Les cinq jours qui suivirent, nous les avons passe a évoluer sur des hauts-plateaux recouverts d'une neige partiellement fondue et détrempée. Marcher dans cet environnement nous faisait vivement regretter de ne pas avoir trouve de raquettes a neige a Kayseri tant la progression était pénible. Avoir les pieds trempes et gelés en permanence nous limitait grandement pour effectuer des pauses. Nous fumes également confrontes a l'absence de commerces pendant cette période sans toutefois a avoir a en pâtir grâce a l'exceptionnelle générosité des villageois qui nous offraient régulièrement du pain, du fromage et des olives noires a manger. Nous pûmes mettre a profit un contrôle de passeports de gendarmes (sur dénonciation d'un Muhtar de village, comme souvent) pour prendre une douche chaude bienvenue dans la caserne d'Örensehir.

Dix kilomètres avant Kangal, alors que le vent souffle de face, et avec une intensité hors du commun, un homme sortant de l'unique construction dans les parages nous invite a boire du thé. Nous acceptons bien volontiers, histoire de nous soustraire de ce maudit vent. Il s'agissait d'un vigile qui était chargé de la surveillance d'une pompe alimentant la ville proche. De fil en aiguille, a mesure que nous lui expliquons notre projet, il passe plusieurs coups de fils a des journalistes de la gazette locale de Kangal et nous invite a attendre leur venue. Quelques heures plus tard ces mêmes journalistes nous déclaraient qu'ils avaient pu arranger une interview avec la chaîne de télévision de Sivas, SRT, pour notre arrivée en ville le lendemain a midi. Le lendemain cependant, les évènements allaient prendre une tournure assez étrange. A notre arrivée on nous déroule le tapis rouge: les journalistes de SRT, fort sympathiques, nous gratifient d'une interview amicale et pertinente sur notre projet et nous allons même déjeuner en leur compagnie dans l'unique restaurant de la ville. La classe quoi ! Mais nous ressentirons comme une méfiance a notre égard de la part du maire adjoint de la mairie, présent lors du déjeuner (le maire en titre, le Başkan, était absent ce jour la). Méfiance qui allait se muer en véritable vendetta au fil de la journée ! Plusieurs raisons a cela: premièrement, nous sommes désignés comme des "marcheurs écologiques" par un vieil article de journal turc que l'on montre en vrac parmi d'autres pour se présenter, avec pleins de déclarations ronflantes d'un elu local qui découvrait les vertus de l'écologie pour son projet immobilier. Propos qu'un autre journaliste, en l'occurrence celui de Kayseri, allait attribuer a Thierry en procédant a un savant mélange de copier/coller d'anciens articles pour faire son papier en vitesse. Secondo, a travers la question rituelle qui consiste a connaître nos professions respectives, les journalistes savent et font savoir que j'ai travaille pendant plusieurs années dans une installation thermique importante en région parisienne. Et enfin tertio, a 10 km de Kangal, une centrale thermique de classe "barbecue" crache d'imposantes fumées noires et dégueulasses que le vent pourtant très fort peine a disperser ... nous avons donc eu forcement droit a la question piège du journaliste au sujet de la centrale de la ville et c'est moi qui m'y colle forcement: je botte en touche en déclarant simplement que si tout les responsables et intervenants faisaient bien leur boulot, il ne devrait pas y avoir de problèmes et j'ajoute que je serais intéressé de visiter la-dite centrale juste par curiosité professionnelle. Du coup a la mairie de Kangal ils nous ont sans doute pris pour des activistes de Greenpeace ! Et aussitôt les journalistes partis on nous prie de dégager de la ville d'abord poliment puis la police du coin s'en est mêlé ... en gros c'était filatures de bagnoles de flics a chacun de nos mouvements en ville, contrôle de passeports dans le cyber-cafe et cerise sur le gâteau, intimidation d'un imam a qui on allait demander la possibilité de dormir dans un local de sa mosquée ! Devant tant d'hostilité (et de connerie) nous déciderons de quitter de nuit la ville pour aller voir ailleurs. Nous aurons droit encore a la filature au ralenti et a quelques allers-retours plein-phares dans la gueule de voitures de police pendant 5 km et puis enfin la paix. Pour la petite histoire, nous arriverons 2h plus tard dans un petit bled ou le maire du coin nous accordera chaleureusement un repas et un hébergement chauffe dans l'ancienne école du village. Ouf, ça finissait bien !

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